Interview Christian Carle : Géolocalisation indoor : dis-mois qui tu es, je te dirai ce que j’ai pour toi

1 mars 2016

Rencontre

Les attentes des consommateurs en matière de personnalisation des offres et des services impliquent de tout savoir sur leur profil, leurs usages et leur comportement d’achats. Les dernières avancées dans le domaine de la géolocalisation indoor permettent aux gestionnaires d’espaces commerciaux de collecter des données de plus en plus fines sur leurs visiteurs et d’interagir avec eux en leur donnant la bonne information, au bon moment et au bon endroit. Rencontre avec Christian Carle, cofondateur de la société Pole Star, leader et pionnier de la géolocalisation indoor.

Bonjour, Christian Carle, pouvez-vous nous présenter Pole Star ?

Pole Star a tout de la start-up, sans en être vraiment une, car la société a été créée en 2002. À l’époque, nous étions déjà persuadés que le mobile allait jouer un rôle de plus en plus important. Nous avions aussi détecté que la localisation de type GPS rencontrerait tôt ou tard une difficulté majeure, celle de l’entrée dans les bâtiments. Le concept initial de Pole Star était donc de trouver une solution permettant d’assurer la continuité de service entre les environnements ouverts, urbains (où les signaux GPS sont fortement dégradés) et indoor (où les signaux sont faibles, voire inexistants).

On dit souvent que les entrepreneurs construisent leur entreprise sur une idée, sur une expérience… cela semble avoir été le cas pour vous. 

Oui, clairement. Si je remonte un peu dans le temps, j’ai travaillé entre 1994 et 2001 chez Thomson-CSF (aujourd’hui Thalès) sur la partie « spatiale » de ce groupe, notamment sur les programmes de navigation par satellites. Il est apparu, au fur et à mesure de mon travail sur le programme EGNOS, puis du travail préliminaire effectué sur le programme Galileo, que ces systèmes de positionnement seraient inévitablement limités avec l’avènement des terminaux mobiles. À cette époque, on imaginait qu’un jour nous sortirions tous de notre véhicule avec le navigateur GPS en poche et qu’il devrait alors nous apporter le même service, à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments.  Et donc, en 2001, nous nous étions dit qu’il fallait trouver une solution avant tout le monde pour résoudre le problème de la mobilité entre l’outdoor et l’indoor. De mon côté, j’avais très envie de recommencer une aventure entrepreneuriale et le fait de rencontrer les bonnes personnes, couplé à la sensation de maîtriser un sujet, a été un élément déterminant dans la création de la société Pole Star.

Vous étiez vraiment en avance sur le sujet de la géolocalisation indoor au début des années 2000, comment se sont déroulées les premières années chez Pole Star ? 

Les trois premières années, entre 2002 et 2005, tout l’argent que nous gagnions était réinjecté en R&D. Lors de la première phase de recherche, nous avons mené des études de comparaison de technologies, basées en grande partie sur la technologie radio, pour déterminer quelles étaient les solutions les plus à même de fournir des informations de géolocalisation. Au final, nous avons retenu deux technologies : celle du Wi-Fi (avec une réserve au départ, car les Chinois n’acceptaient pas la norme de l’époque et voulaient développer leur propre norme) et celle de l’Ultra Large Bande.

Combien étiez-vous au moment de cette première phase de R&D ? 

Nous avons commencé à deux, puis Pole Star a intégré très vite trois ou quatre personnes de plus pour atteindre une dizaine de personnes en 2006.

Une fois les deux technologies sélectionnées, vous avez mené des expérimentations sur le terrain pour les départager ? 

En réalité, les deux technologies retenues n’avaient pas pour but de répondre aux mêmes besoins. D’un côté, nous nous sommes orientés vers le Wi-Fi pour pénétrer le marché de la géolocalisation grand public, et de l’autre nous avons développé l’Ultra Large Bande pour les besoins sensibles et critiques des professionnels de la sécurité civile ou militaire. Les premiers temps, nous avons travaillé sur ces deux concepts en parallèle.

Pour la partie grand public, nous avons structuré notre offre et créé une marque, NAO, qui est aujourd’hui déclinée en plusieurs composantes dont la plus connue est NAO Campus. C’est une solution 100% logicielle, basée sur un algorithme de fusion et d’hybridation d’un certain nombre de données. Nous avons pu déployer notre première solution opérationnelle à titre de démonstration, en 2008, dans un centre de congrès et d’exposition français. Ensuite notre premier client était Chinois. Pour des raisons historiques, nous avions de très bonnes relations avec la ville de Chongqing, située au centre du pays. Dans le cadre d’une coopération plus large entre la Sécurité civile française et la Sécurité civile chinoise, nous avons eu l’occasion de monter un projet, de signer un contrat et de délivrer un Proof of Concept (POC) dans un camp d’entrainement de pompiers de la ville de Chongqing. La géolocalisation indoor servait à enregistrer tous les déplacements des pompiers dans un bâtiment et à rejouer les scénarios pour améliorer leurs techniques d’intervention.

Et en ce qui concerne l’Ultra Large Bande ? 

Nous sommes allés jusqu’à la validation du concept (appelé en interne POSIRIS). Le prototype de notre solution a été intégré dans un système plus large d’aide à l’intervention des services de sécurité et a été démontré opérationnellement dans le cadre d’un vaste projet porté par les plus grands industriels français du domaine de la sécurité.

Quels sont les grands enseignements, d’un point de vue technologique et bénéfices clients, que vous avez tirés de cette expérience chinoise ?

Ce sont surtout des enseignements opérationnels. Bien que notre stratégie était de fonctionner sous la forme d’un cœur technologique générique, nous nous sommes aperçus que chaque use case nécessitait une compréhension extrêmement fine de l’usage et des besoins des utilisateurs finaux.

Le deuxième enseignement a été que, lorsqu’on travaille sur une partie très professionnelle comme celle des pompiers ou une partie grand public, les sujets sont complètement différents. Nous avions tout de suite compris que nous ne pourrions pas courir deux lièvres à la fois, qu’il fallait revoir notre stratégie de développement pour nous concentrer sur un produit unique, avec le souci d’apporter la meilleure solution possible aux clients, en termes de performance, de coûts, de maintenance, d’évolution et de scalabilité de la solution. Nous avons donc mis en sommeil l’Ultra Large Bande et nous nous sommes concentrés sur NAO Campus.

Dans le domaine grand public, quelles sont vos principales cibles ? 

Deux segments de marchés ont été assez dynamiques et ont joué le rôle essentiel d’ « early adopters » : le marché des aéroports et le marché des centres commerciaux. Nous avons eu la chance d’entrer en discussion avec Aéroports de Paris pour le déploiement d’une solution de géolocalisation couplée à une application mobile au sein de leurs aéroports. En parallèle, nous avons contractualisé avec Unibail-Rodamco et déployé notre solution dans un premier centre commercial, celui des 4 Temps de La Défense. La référence était très importante pour nous, car le quartier d’affaires de La Défense est connu partout dans le monde. Par la suite, nous nous sommes développés dans d’autres aéroports, celui de Toulouse notamment, et dans d’autres centres commerciaux. La cible américaine s’est également très vite imposée, vers l’année 2011. En France, le marché ne démarrait pas aussi rapidement qu’espéré alors qu’aux Etats-Unis, nous commencions à avoir beaucoup de demandes. Aujourd’hui le segment des bâtiments intelligents, notamment pour les grands immeubles de bureaux, les centres commerciaux et les grands hôpitaux (exclusivement en Amérique du Nord) sont des segments très dynamiques.

Vous parlez des années 2010-2011, quelle est la situation du marché aujourd’hui ? 

Le marché s’est véritablement réveillé vers 2012 – 2013.  Il y a d’ailleurs eu plusieurs aspects : en 2012, nous avons très vite détecté que le Bluetooth Low Energy allait devenir un composant important et qu’il pourrait se substituer ou compléter le Wifi. Les développements d’Apple et de Google sont venus confirmer cette intuition et le marché a connu une nouvelle phase de croissance. Chaque année, depuis 2013, Pole Star double son revenu global. La tendance se confirme également pour cette année et pour les années à venir.

Que pèse le marché de la géolocalisation dans le monde ? 

Le marché de la localisation indoor (qui inclut les technologies, les services à valeur ajoutée et tout ce que l’on peut faire avec) a été chiffré à un potentiel de 4 milliards de dollars à l’horizon 2019 dans le monde. On recensait également l’année dernière 500 000 bâtiments dont la carte indoor était disponible. Sur ce marché, la partie technologie ne représente qu’une partie des revenus potentiels, mais on voit tout de même arriver et disparaître un certain nombre d’acteurs tous les ans, en Italie, en Israël, aux Etats-Unis et dans d’autres endroits du Monde.

Y a-t-il des pays plus en avance que d’autres sur ce marché ? 

Oui, bien sûr. Pour des raisons de maturité et de taux d’équipement principalement. Le plus gros marché potentiel est le marché américain, puis vient le marché européen. Depuis quelque temps, la demande de la zone Asie est aussi en train de progresser. Pole Star a par exemple été sollicité en Chine et en Corée. Il faut dire qu’en Corée, il y a des fabricants de mobiles et de smartphones qui ne peuvent pas se désintéresser du sujet.

Les tendances sont donc très positives et très encourageantes. Quels sont, au niveau des usages, les bénéfices pour les utilisateurs ?

C’est effectivement une partie très importante. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que nous avons une dualité entre nos clients (qui sont les propriétaires ou les gestionnaires des lieux) et les utilisateurs finaux (qui ne sont pas nos clients, mais qui ont une place très importante dans la chaîne de valeur). Nous avons donc une dualité entre la valeur perçue par nos clients et la valeur perçue par les utilisateurs finaux. Elle n’est absolument pas la même.  Ce que les utilisateurs finaux attendent, c’est une application qui leur apporte un véritable service, les aide à se repérer, à trouver leur chemin, à chercher un produit. Nos clients, eux, cherchent avant tout à collecter des données pour pouvoir apporter des services personnalisés aux utilisateurs finaux et leur apporter la bonne information selon leur profil utilisateur, au bon moment et au bon endroit.

Vous avez une idée des tendances de ces usages ? 

La carte de fidélité, couplée à la géolocalisation et ensuite au paiement dématérialisé (avec son mobile), semble être par exemple un élément extrêmement important dans l’évolution du secteur du retail, en Europe et encore plus aux États-Unis. Imaginez, lorsque vous entrez dans un centre commercial, on vous reconnaît, on sait que c’est la deuxième fois que vous venez, que la dernière fois vous êtes allé dans tel ou tel magasin, pendant tant de temps et que vous avez finalement acheté tel ou tel produit. Dès votre arrivée, la marque peut vous envoyer un message de bienvenue personnalisé et vous proposer des réductions adaptées à votre profil. L’intérêt pour l’utilisateur final est de recevoir de l’information pertinente qu’il n’aurait pas pu avoir sans son application ni la géolocalisation. Du côté de nos clients (les gestionnaires de lieux), plus ils pourront remonter de l’information sur les utilisateurs finaux, plus ils pourront la valoriser en utilisant la donnée pour optimiser le lieu et comprendre le comportement des personnes, leur envoyer de l’information personnalisée et surtout ultra pertinente. En effet la réception d’une offre unique et éphémère est un facteur rassurant qui augmente les taux de conversion.

Êtes-vous en rapport avec des entreprises qui font de la personnalisation et du ciblage de messages, en fonction du comportement des internautes ?

Absolument. C’est une évolution extrêmement importante à terme du business model : la donnée va prendre le pas sur le service et générer de plus en plus de revenus, soit de manière directe par la revente, soit de manière indirecte via leur exploitation. La promesse que nous faisons aujourd’hui aux entreprises de collecte de données et de ciblage sur Internet est d’arriver à reproduire en off-line ce qu’ils savent faire en on-line. À terme, l’évolution du marché tend vers la convergence de l’ensemble de ces données grâce au développement de l’Internet mobile.

Quel pourrait être l’avantage de faire converger ces données ? 

Je vais prendre le cas d’une grande chaîne américaine de magasins spécialisés dans l’électroménager. En 2012, ils ont perdu 1,2 milliard de dollars de chiffres d’affaires au profit d’Amazon à cause d’un phénomène qui s’appelle le showrooming. Les gens viennent dans ces magasins pour voir les produits, avant de les acheter en ligne à tarif réduit sur Amazon. Grâce à la convergence des données collectées sur les lieux et sur le web, cette grande chaîne américaine sera en mesure d’envoyer un message sur le téléphone d’une personne venue en magasin, au moment où elle est en train de consulter la page du produit sur Amazon, pour la convaincre de faire l’achat sur son propre site Internet moyennant une offre unique et personnalisée.

C’est assez impressionnant. Pensez-vous que la réglementation des pays va être un frein ou, au contraire, pourrait être un accélérateur de ce type de développement, de ces tendances ? 

C’est un vrai sujet. Et on le suit de très près. Nous avons travaillé avec la CNIL, en France, pour essayer de comprendre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Aux États-Unis, c’est différent. La gestion de ces problématiques et le respect de la vie privée sont gérés à Washington. Il n’y a pas d’organisme particulier et les lobbys ont un poids important dans ces décisions, surtout lorsqu’on entre en période électorale.

Ce qu’il est important de retenir, c’est qu’il doit être permis à une personne de refuser le partage de sa position de géolocalisation et que les applications n’imposent pas son utilisation. D’ailleurs, on se rend compte que pour obtenir l’adhésion des gens il faut toujours leur donner une contrepartie. Il faut que la personne ait accès à des services qui lui semblent personnalisés. C’est un message extrêmement important pour ceux qui développent les services à valeur ajoutée : l’usage et le service qu’ils proposent doivent avoir une vraie valeur pour l’utilisateur s’ils veulent, derrière, collecter des données.

C’est donc le point-clé de l’évolution de la relation client : pour que le consommateur accepte la collecte de ses données personnelles, il faut en contrepartie lui fournir un service personnalisé, à très haute valeur ajoutée. C’est bien ça ?

Exactement. C’est pourquoi nous avons décliné dans notre offre de services trois niveaux de produits : la géolocalisation (donc ce qui contribue à améliorer l’expérience de l’utilisateur), ensuite tout ce qui touche à la partie « proximité » ou geofencing (ce qui permet de créer l’interaction entre le lieu, le service, un produit particulier, une marque et l’utilisateur), et enfin la compréhension des usages à travers l’analyse des données collectées.

Les entreprises ont donc le devoir de proposer des offres de plus en plus personnalisées et on s’éloigne par conséquent de la standardisation.

En termes d’usage, oui, c’est clair.  Avec cette idée qu’il faut proposer des services pertinents, ciblés, personnalisés, pour augmenter le panier moyen d’achats des utilisateurs.

Quelles sont les initiatives en cours de réflexion dans le domaine de la gestion des données personnelles ? 

Nous réfléchissons avec d’autres acteurs du marché sur la possibilité d’accéder à une base de données pour supprimer les informations d’un utilisateur qui en ferait la demande. Mais on n’en est vraiment qu’à l’étape de la réflexion. Autre initiative, cette idée d’une base de données mondiale, ouverte, pour permettre aux développeurs de services de remonter librement vers ceux qui détiennent telles ou telles données. Pour le moment, rien n’est fait, car il reste à convaincre les gestionnaires de lieux de mettre à la disposition de tous des données leur appartenant. D’une manière sécurisée, bien entendu.

Au niveau de Pole Star, dans l’attente d’une éventuelle évolution du marché, nous avons pris le parti d’associer systématiquement les données collectées dans notre plateforme avec l’identifiant du téléphone mobile dont elles sont issues. De cette manière, nous pourrons à tout moment l’effacer si la législation ou les usages devaient changer.

 

 

BIO  

Christian Carle a un passé d’industriel, avec une fibre entrepreneuriale. Diplômé de l’IECS, il crée dès sa sortie d’école une première société, Althaéa, qu’il dirige pendant deux ans. Il intègre en 1990 le groupe Thomson CSF, en qualité de manager, et évolue principalement dans la division spatiale de l’entreprise. En 2002, il crée Pole Star, aujourd’hui leader et pionnier de la géolocalisation indoor.

Ce qu’il aime : le VTT, lorsque ses responsabilités le lui permettent. Ne penser qu’à appuyer sur les pédales pour se changer les idées et voir après coup les choses différemment.

Ce qu’il déteste : le manque de franchise, surtout dans le cadre professionnel.

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Martial Delpuech
Martial Delpuech

Directeur Communication Externe et Marketing Opérationnel

Martial DELPUECH est Directeur Communication Externe chez Hub One. Dans la vie, il est passionné par les arts vivants comme le théâtre, l’opéra et la danse contemporaine. Il est fan de Sidi Larbi Cherkaoui qui représente à lui seul, un symbole de tolérance par le mélange des cultures, et Benjamin Millepied, qui symbolise la rigueur nécessaire pour pouvoir exprimer pleinement son talent. Son gadget technologique préféré : le web. C’est un vrai « internet addict » qui se connecte sur l’un de ses 3 ordinateurs, 2 tablettes ou son smartphone. Et pourtant ce n’est pas un tech !


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